Rubrique Geopolitique

1 - Le Sahel nouveau front djihadiste

« Le terrorisme, c’est la propagande par l’action » (Walter Laqueur)

Dans cette ère où la terreur règne à des fins politiques, religieuses ou idéologiques, nous allons ici nous concentrer sur le terrorisme des partisans de la Charia, cette loi islamique, cette doctrine sociale, culturelle et relationnelle qui signifie « chemin pour respecter la loi de Dieu ».
Citée dans le Coran, la Charia est considérée comme la voie à suivre pour les musulmans.
Elle classe les actions humaines en cinq catégories. Ces catégories correspondent à cinq valeurs morales :
 1. ce qui est prescrit, désigné sous le terme de fard
 2. ce qui est recommandé, désigné sous le terme de mandub
 3. ce qui est indifférent (mubâh)
 4. ce qui est blâmable désigné par le terme makrûh
 5. ce qui est interdit désigné par le terme haram
Haram, ce mot résonne. Boko Haram. Groupuscule Nigérian fondé en 2002 ayant pour conviction d’imposer la Charia au Nigeria dans un premier temps et pourquoi pas contaminer le territoire sahélien par la suite…

I. Les djihadistes s’emparent du Sahel

A. L’histoire du djihad

Définition : La « lutte » et la « résistance » contre la « guerre sainte »

Le Djihad signifie en arabe « lutte » ou « résistance » et non pas « guerre sainte » comme peuvent trop souvent le simplifier les occidentaux. A l’origine ce terme désigne un « effort sur soi ». Le prophète Muhammad lui-même ayant annoncé que le vrai combattant (al-moudjahid) est celui qui se livre combat à lui-même, qui mène la lutte intérieure, spirituelle, contre ses propres travers en vue d’un perfectionnement dans la voie de Dieu. Ce terme se réfère alors à un devoir religieux des musulmans puisqu’il est légitimé par une sourate du Coran, bien qu’il ne fasse pas partie des 5 piliers de l’islam. Ce terme a été utilisé pour justifier une infinité de causes ou de luttes. Sa doctrine : « Un effort sur soi pour devenir meilleur, travail pacifique et exigeant ».

Mais progressivement, cette notion de Djihad en est venue à désigner la « guerre sainte », puis la guerre dans sa définition principale « une lutte armée entre plusieurs pays et/ou peuple ». On distingue donc le Grand Djihad du Petit Djihad qui inclut les actions de prosélytisme et le conflit armé incluant aujourd’hui l’assassinat, le meurtre et le terrorisme. Ce « petit djihad » n’est pas moins islamique que le Grand Djihad. Il porte le nom de Al-Djihad al-Asghar, littéralement : « la guerre » (contre les ennemis de l’islam). Le prophète établit une opposition lui-même selon laquelle la véritable grande guerre, le véritable djihad (al-djihad al-Akbar), est celle que le Musulman s’applique à lui-même en vue de son amélioration, tandis que la guerre que les armées livrent à l’ennemi n’est qu’un substitut, puisqu’elle est qualifiée de petite guerre (al-djihad al-asghar) [1].

Coran II/2, 186-187 (L3B) :
« Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion ; mais n’attaquez pas les premiers. Dieu hait les agresseurs ».

Coran IX/9, 101 :
« Ceux qui les premiers ont quitté leur pays pour aller à la guerre sainte, ceux qui ont suivi cet exemple glorieux, ont mérité l’amitié de Dieu qu’ils aimaient, et il leur a préparé des jardins où coulent des fleuves et où ils goûteront des plaisirs éternels ».

Le djihad devrait donc être surtout spirituel dans le Dar al-Islam ou le Dar as-Soulh, alors que sa version agressive et prosélyte est principalement tournée vers le Dar al-Harb où vivent les non-musulmans (mécréants, infidèles, athées, polythéistes).

Le fanatisme

Deux définitions du fanatisme s’offrent à nous :
1 : « Attachement passionné, enthousiasme excessif pour quelqu’un, quelque chose ».
2 : « Dévouement absolu et exclusif à une cause qui pousse à l’intolérance religieuse ou politique et conduit à des actes de violence ».
Nous nous intéresserons de toute évidence à cette deuxième définition.

Si l’on se concentre sur la religion musulmane, il est également important de préciser qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre Islamique et Islamiste. Nous parlons ici du Djihad, qui est de toute évidence un mouvement Islamiste. En référence aux définitions du Djihad évoquées ci-dessus, nous observons aujourd’hui une montée en puissance du Djihad vu comme une « guerre sainte » : la guerre en Syrie et l’émergence de l’État islamique ont donné au mot djihad une connotation sanglante et meurtrière. On parle alors ici du fanatisme islamique : Les combattants du djihad sont appelés djihadiste. Dans cette catégorie se rangent les militants des groupes islamistes violents et les fanatiques musulmans qui se livrent à des actes de terrorisme au nom de Dieu. Bien sûr, un tel mouvement est inspiré par l’homme et sa lecture propre d’un livre sacré. Ce fameux djihad, l’appel à la guerre sainte, enjoint les musulmans à se battre contre les infidèles « qui ne sont que souillure » afin de les convertir (sourate IX). Mais, à côté de ces textes, on trouve de nombreuses paroles qui présentent Dieu comme "le Miséricordieux plein de miséricorde » (sourate I) et appellent les croyants à conformer leur vie à la justice et à la miséricorde divine (sourate III, 5). Cette ambivalence entre amour et violence n’est pas propre au Coran, elle est inspirée par la lecture et l’interprétation propre et personnelle du livre sacré. Une interprétation littérale des versets les plus violents conduits nécessairement aux pires extrémités. Le fanatisme se nourrit du fondamentalisme. L’histoire nous montre que ce genre de mouvement est généralement induit par une personne ou un groupe en particulier.

Les fondateurs du Djihad

Taqi al-Din Ahmad Ibn Taymiyya

« Père » du Djihad moderne, (né en 1263 à Harran en Turquie, mort en 1328 à Damas), est à la fois un penseur et un combattant. Il était un théologien et un jurisconsulte musulman sunnite du XIIIe siècle. Il se distingue par son refus de toute innovation dans la pratique religieuse en rejetant aussi bien les idées de Al-Ghazâlî (soufi musulman d’origine persane, personnage emblématique dans la culture musulmane) que celles de Ibn Arabî (espagnol musulman d’origine arabe, théologien, juriste, poète, métaphysicien) tout comme l’ensemble des philosophes de manière générale. Son radicalisme le fait incarcérer à plusieurs reprises par les autorités mameloukes de son époque et il trouve la mort en prison. Il est le précurseur du mouvement Djihadiste puisqu’il l‘a incité entre 1300 et 1304, lors des derniers raids en Syrie effectués par les Mongols ilkhanides. Cette idée du lettré guerrier, nourrira le fantasme de toute une génération, dont le plus connu, Ben Laden.

• Hassan al-Banna (1906 à 1949)

Plus proche de nous dans le temps, il est un instituteur égyptien et l’un des fondateurs des Frères musulmans [2]. Il n’est pas sans importance de rappeler le phénomène du printemps arabe (qui débute en 2010). Depuis les élections qui ont suivi ce Printemps arabe en Tunisie et en Egypte, les Frères musulmans ou des organisations proches, comme le parti Ennahda, parviennent au pouvoir dans ces pays. Le premier souci d’Hassan al-Banna n’est pas de transformer l’islam en vue d’affronter les problèmes qui se dressent devant lui mais, dans la ligne de Rashid Rida (intellectuel syrien de la tradition islamique réformiste), de chercher dans l’islam des premiers califes des réponses théologiques à la crise existentielle que traverse alors tout le monde musulman. Il souhaite restaurer le califat et pour cela s’engage entre autre dans le combat politique en menant une campagne nationaliste contre la Grande Bretagne pendant la seconde guerre mondiale. Les Frères musulmans préconisent une fusion totale entre politique et religion : l’islam est pour eux tout à la fois : « une adoration, un commandement, un Coran et une épée, et nul ne saurait les démêler ». Ses réflexions et paroles teinteront alors la philosophie d’Al-Qaïda quelques décennies plus tard, en particulier avec l’idée d’un Djihad mondial, résolument anti-occidental, comme il l’explique ici : « Notre tâche en général est de nous lever contre le flot de la civilisation moderne nous submergeant du marais matérialiste et des désirs impies ». Ces propos ont été repris à leur compte par d’autres acteurs du Djihad, comme le tristement célèbre Aboubakar Shekau, chef de Boko Haram au Nigeria.

B. Expansion du terrorisme sur la ceinture Sahélienne

Qu’est ce que le Sahel ?

Le Sahel [3], aussi appelé « ceinture sahélienne » est une immense bande de terre aride qui s’étend du domaine saharien au nord aux savanes du domaine saoudien. D’ouest en est il s’étend de l’Atlantique à la mer rouge. Le sahel est formé des 5 pays les plus pauvres du monde allant de la Mauritanie au Soudan en passant par le Mali, le Niger [4] et le Tchad. Le périmètre ci-dessous exclut le Sénégal, le Burkina Faso ou le Nigeria, pays dont seule une partie minoritaire du territoire peut être considérée comme sahélienne.



Une idéologie commune

Les enlèvements perpétrés par des organisations terroristes nigérianes viennent rappeler que la menace terroriste est aussi en expansion au sud du Sahel. La question de la capacité de Boko Haram à toucher, aujourd’hui, le sud du pays (en majorité chrétien), ainsi que les pays voisins, est aujourd’hui clairement posée. Au-delà de l’expansion géographique grandissante, les experts mettent en avant la montée en puissance dans la violence observée par la secte islamiste dont le but, (à l’origine : faire appliquer la « charia » dans les différents États du Nigéria et y mettre en place progressivement un État islamique), pourrait de plus en plus adhérer aux thématiques terroristes du « djihad global ». En République centrafricaine, la situation n’est pas encore stabilisée. Au Nord du Nigeria et du Cameroun la secte Boko Haram [5], gang de fanatiques et de criminels ayant la folle ambition de créer un califat et d’imposer la Charia dans tout le pays. La situation en Libye est également très confuse, notamment dans le Sud-Ouest qui sert de refuge et de base logistique aux groupes terroristes qui opèrent au Nord-Mali. En effet, la tension monte au Mali. Les Touaregs veulent chasser de leur territoire l’armée et Al-Qaida, qu’ils accusent de collusion. Les ONG présentes dans la région ont tiré la sonnette d’alarme. Les enlèvements de ressortissants occidentaux au Sahel ne sont que le symptôme d’une situation qui va en se dégradant.

Les répercussions sur les pays sahéliens

Outre le fait que le terrorisme frappe dans ne nombreux pays, la politique intérieure des pays voisins du Nigeria lutte contre la terreur qui les menace sans cesse. Prenons l’exemple du Tchad, un journaliste de France 24 déclare : « Si cette guerre dur trop longtemps, le risque pour le Tchad : être asphyxié économiquement ». En ce moment même, les navigations sur le fleuve Chari (entre le Tchad et le Cameroun) sont interdites par mesure de sécurité car les Tchadiens redoutent les attentas sur leur sol.
En effet, le Tchad est un pays enclavé qui importe une partie de ses biens de consommations depuis le Cameroun ou le Nigéria. Depuis l’offensive de Boko Haram, les prix de certains produits ont flambé sur les marchés de la capitale, N’jamena. Cependant, malgré l’annonce de la mise sur pied d’une force multinationale de 8.700 hommes fournis par le Tchad, le Niger, le Cameroun, le Nigéria et le Bénin, les ardeurs d’Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, ne se sont pas calmées, au contraire même. En effet, Boko Haram a lancé une vague d’attaques dans le sud-est du Niger depuis le 6 février 2015, précisément à Diffa, et pris d’assaut un bus dans l’extrême-nord du Cameroun, tuant ainsi 12 voyageurs. Conséquence de ces actes, la fuite de la population du Niger : « Femmes, hommes et enfants, tous quittent en masse Diffa : à pied, à moto, en voiture en camion », a témoigné un journaliste local, sollicité par l’AFP. En outre, la mise en place d’une force multinationale n’a pas l’air d’inquiéter le chef de Boko Haram. Dans une nouvelle vidéo diffusée le 9 février 2015, Abubakar Shekau a déclaré : « Votre alliance ne mènera à rien. Rassemblez toutes vos armes et affrontez-nous. Vous êtes les bienvenus ! », a-t’il lancé. « Vous envoyez 7.000 soldats ? Pourquoi pas 70 millions ? Ce n’est pas beaucoup. (…) Par Allah, c’est peu. Nous allons les capturer un à un ». Visiblement, Boko Haram s’inspire de la proclamation d’un califat par l’État islamique (EI ou Daesh), étant donné que des vidéos diffusées en même temps que celle d’Abubakar Shekau ont montré des images d’Abu Bakr al-Baghdadi (chef de Daesh) et évoqué le califat de Sokoto, établi au XIX siècle dont le territoire couvrait le nord de l’actuel Nigéria.

Les complicités face au trafic de drogue : la corruption douanière

La drogue (La cocaïne venant d’Amérique du sud et le hachich principalement du Maroc) empruntent un grand axe d’ouest en est qui se sépare en deux, soit vers le Sinaï soit vers le golf persique via le Soudan. Une autre partie de la drogue suit la route nord-sud vers des ports méditerranéens d’où elle est embarquée pour l’Europe. Le transfert se fait grâce à des complicités douanières, administratives et dans l’armée.
Toute cette corruption ralentit les états africains du sahel à combattre les groupes terroristes (en particulier l’AQMI (Al-Qaida au Maghreb Islamiste)), car cela reviendrait à se priver des retombées lucratives des trafics de drogues.
De plus, un lien entre terroristes et trafiquants de drogues s’est créé car il aide chaque partie à persister dans ses activités criminelles. L’essentiel, pour les trafiquants de drogues est de transporter à bon port leur marchandise avec un minimum de saisies par les services de sécurité, quelque soit le coût de la traversée. À cet égard, l’association avec des terroristes permet aux trafiquants de drogues de réduire les pertes dues à des saisies. En outre, l’implication des organisations terroristes dans le trafic de drogues augmente son potentiel déstabilisateur dans et hors de l’Afrique subsaharienne.

Un transfert de savoir faire

Ces passerelles géographiques attisent la crainte d’une expansion terroriste africaine qui réunirait un triangle infernal : AQMI, Boko Haram au Nigeria et les Shebab de Somalie. Cette crainte est pour l’instant au stade de menace car les contextes locaux sont très différents. Néanmoins, le transfert de savoir faire en matière de techniques d’attentats suicides inquiète. Selon une source militaire, des membres du groupe djihadiste sahélien Al-Mourabitoune seraient venus donner une formation pour fabriquer des engins explosifs aux membres de Boko Haram. De plus, nous pouvons clairement constater que les desseins de Boko Haram et du Daesh sont similaires : créer un nouvel état islamique, et donc un nouveau califat.

A suivre....

Vous retrouverez ici la seconde partie de cet article.


[1Connaître l’islam, sur le site atheisme

[2Les Frères musulmans : qui est vraiment Hassan el-Banna, leur fondateur ?, sur le site Atlantico

[3Pour mieux appréhender l’importance géographique du Sahel nous vous conseillons de lire Le Sahel sur la carte du monde un article de la Documentation Française

[4Nous vous renvoyons à l’article « Le sable chaud du Niger » paru ici-même avec ce reportage photographique de Thomas Goisque sur l’armée française dans le haut Niger

[5L’évolution de la secte Boko Haram en 8 dates

Pour aller plus loin dans la lecture de cet article, nous ne pouvons que vous conseiller tout d’abord « Dans l’engrenage de la terreur, genèse du djihadisme » de Nabil Mouline paru sur le site Le Monde Diplomatique (accès libre).
« Haji Bakr, le cerveau de l’Etat islamique » sous-titré par nos soins « L’Etat Islamique, une belle fumisterie ? » est une enquête de Christophe Reuter du journal Der Spiegel permettant de bien comprendre les réelles motivations de ce qui se fait appeler l’Etat Islamique.
Nous finirons avec les soldats français du 2e REP assurant au quotidien une présence indispensable afin de lutter contre les islamistes, sur un territoire global qui pour rappel est plus vaste que l’Europe, direction « Le sable chaud du Niger »


Par , publié le lundi 6 avril 2015
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