Rubrique Développement Durable

- 1 - La révolution verte de Cuba

La révolution verte de Cuba


La petite île dite « révolutionnaire » révolutionne les codes de la transition énergétique durable, mais ce modèle est-il réellement durable ?

Introduction

Cuba, petit Etat insulaire des caraïbes de 11 millions d’habitants, ancienne colonie espagnole puis territoire des Etats-Unis d’Amérique jusqu’en 1902, est aujourd’hui à un tournant de sa transition démocratique et énergétique.

Afin de mieux comprendre la Révolution énergétique Cubaine, il est important de connaître son histoire.
En effet, avant la révolution de 1959, le pays était rattaché à un réseau électrique. En 1989, 95% du pays était doté de l’électricité grâce à des accords avec l’URSS, accords qui permettaient aux cubains de bénéficier du pétrole soviétique en échange de sucre [1].
En 1991, l’Empire soviétique sombre ; ce qui entraîna Cuba dans l’isolement. Cuba perd son principal fournisseur de pétrole, de matériel agricole ou encore d’engrais chimiques. De plus, l’île perd à son tour des marchés juteux, notamment celui du sucre, dont elle exportait 85% de sa production [2].
Si l’on ajoute à cela les relations extrêmement tendues avec les Etats-Unis, c’est pour Cuba le début d’une nouvelle ère qu’on appellera « période spéciale en temps de paix », annoncée par Fidel Castro en 1992. Cette période durera 5 ans, et ce fût une réelle crise économique : «  le produit intérieur brut chute de 35 %, le commerce extérieur de 75%, le pouvoir d’achat de 50% et la population souffre de malnutrition. [3] »

Fidel Castro était un révolutionnaire et homme d’Etat cubain qui a dirigé le pays pendant un demi siècle, d’abord comme premier ministre (de 1959 à 1976) puis comme Président de 1976 jusqu’à 2008 où il a transféré le pouvoir à son frère, Raúl Castro.
Considéré comme bête noire des Etats-Unis pendant 11 générations de présidents (d’Eisenhower à Obama), il a été le symbole de la lutte anti-impérialiste. Fidel Castro est décédé le 25 Novembre 2016 des suites d’une maladie. Sa mort plongea le pays dans un deuil national.
Le double mandat présidentiel de Barack Obama aux Etats-Unis fut vécu comme un nouveau souffle pour la petite île dite « socialiste » [4], le jour où le vote des USA à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) fut positif à la levée de l’embargo.
En effet, le 3 février 1962, John Fitzgerald Kennedy annonçait des sanctions dites « totales » contre Cuba qui venait de mettre fin au régime pro-américain du dictateur Batista. [5] Le blocus a été encore renforcé en 1992 et 1996, au mépris du droit international. A chaque fois depuis cette date, les USA votaient contre la levée des sanctions, jusqu’à l’année dernière où pour la première fois les Etats-Unis, ainsi qu’Israël, se sont abstenus, le 26 octobre 2016 [6].
Cette fin d’embargo est un évènement majeur dans l’histoire de Cuba puisqu’il intervient après 54 ans de blocage, sous la décision la présidence de Raul Castro.
Quelques mois plus tard, en ce début d’année 2017, les relations cubano-etasuniennes se dégèlent et l’ONU a exprimé son soutien à «  la gestion des ressources hydriques cubaines et aux efforts consentis à la lutte contre la sécheresse. » Lors de la journée internationale de l’eau, Myrta Kaulard, coordonnatrice à Cuba du système des Nations-Unies a déclaré : « Cuba, un pays très engagé envers le développement durable, relève ce défi, d’un côté, à l’aide de toute une série d’ouvrages qui doivent permettre le ravitaillement en eau, l’utilisation des bassins souterrains et de l’autre par l’application des mesures pour économiser l’eau. » [7]

L’île de Cuba a traversé des périodes chaotiques, entre manque d’accès à l’eau potable, dépendance pétrolière, ouragans successifs venant détériorer les lignes électriques.
Or Cuba ne se laisse pas abattre et c’est pourquoi les dirigeants et la population ont fait de l’énergie leur priorité. C’est ainsi, en 2006, qu’a commencé ce que les Cubains appellent « La Révolucion Energética ».

Cuba est aujourd’hui un modèle en terme de transition énergétique mais paradoxalement elle n’est pas dépendante énergétiquement pour autant.
C’est pourquoi dans cette étude nous allons tenter de répondre à la question : le modèle de révolution énergétique cubain est-il réellement durable ?
Pour ce faire, nous verrons dans un premier temps en quoi consiste cette révolution énergétique cubaine. Dans un second temps nous aborderons le Venezuela, plongé dans une guerre civile depuis plusieurs mois et qui est, de surcroît, le fournisseur pétrolier numéro un de cuba.
Enfin, dans un troisième temps, nous nous attarderons sur l’importance de l’implication du peuple dans une telle transition énergétique.

I. La révolution énergétique cubaine


  • 1. Les évolutions

Comme évoqué précédemment, Cuba est aujourd’hui considéré comme le modèle à suivre en terme d’économies d’énergie et de développement durable. Le progrès est tel que de nombreux pays pourraient apprendre de cette expérience pour atteindre l’indépendance énergétique et lutter contre le changement climatique.
Les statistiques relevées sont impressionnantes : Il semblerait que depuis la Révolution Energétique, qui a réellement démarré aux alentours de l’année 2007, la consommation de kérosène a baissé de 66%, celle du gaz de 60% et celle de l’essence de 20% . [8]
Comme nous pouvons le constater grâce au tableau ci-dessous, la consommation d’énergie par habitant se situait en 2008 à un huitième de celle des Etats-Unis, alors que la santé, l’éducation et l’espérance de vie sont parmi les plus élevées au monde.

La révolution verte de Cuba


Les raisons qui ont poussé les cubains à révolutionner leur système énergétique sont multiples.

Tout d’abord il y a les raisons historiques évoquées dans l’introduction. A savoir, la dépendance au pétrole soviétique jusqu’en 1991, les relations très tendues avec le voisin géant Américain qui resserrait l’étau économique ainsi que les divers ouragans qui venaient heurter le pays de plein fouet et pouvaient aller jusqu’à causer la perte d’électricité, plongeant les cubains dans le noir pendant plusieurs jours.

Les racines de ce besoin d’autonomie remontent à 1992.
Premièrement, en Juin 1992 avec un renforcement du blocus américain alors que Cuba souffre de la pénurie de pétrole fourni par l’URSS. Ce renforcement est en fait le projet de loi Torricelli, du nom d’un démocrate du New Jersey. L’idée était d’interdire aux navires marchands américains et étrangers qui accostaient dans les ports cubains de décharger leur marchandise aux États-Unis pendant une période de six mois. Ces sanctions ne seront levées que dans la mesure où le régime manifestera concrètement son intention de progresser vers plus de démocratie, conditions rejetées par le gouvernement castriste. 1992 est aussi l’année de la mise en place des « apagones », c’est-à-dire des interruptions de courant, qui peuvent durer jusqu’à 18 heures par jour.
Deuxième évènement de 1992, en juillet avec la Modification de la Constitution cubaine, modification qui permet l’affirmation du caractère socialiste de l’Etat Cubain. Cette modification a permis l’autorisation des investissements étrangers.

Ce sont ces évènements qui ont conduit Cuba à entrer dans la « période spéciale » car les cubains ont dû se serrer la ceinture et apprendre à fabriquer et se procurer par eux mêmes les produits de première nécessité.
En 1993, un Programme de Développement des Sources Nationales d’Energie fut rédigé pour réduire les importations d’énergie et utiliser au mieux les sources d’énergie locales. Le document a proposé que la première source d’énergie devienne « l’économie d’énergie ».

C’est après l’adoption de ce programme que Cuba s’est lancé sur la voie des économies d’énergie et des énergies renouvelables. « Toutes les écoles rurales, les cliniques, les centres sociaux du pays qui n’étaient pas branchés au réseau électrique ont été électrifiés par l’énergie solaire.  » [9]

La révolution verte de Cuba


Grâce à ces changements, Cuba excelle en terme d’infrastructure éducative. En effet, aujourd’hui, chaque élève cubain a donc accès à l’éclairage, aux ordinateurs, aux programmes d’éducation télévisés.
Selon une étude de la revue internationale de Sèvres : « En 2005, 850 000 jeunes bénéficiaient des équipements du Réseau de Clubs d’Informatique. Ont été ouvertes des Écoles d’informatique, accueillant plus de 20 000 élèves, et les nombreuses antennes de l’Université des Sciences informatiques contribuent à développer l’industrie du software éducatif. Aujourd’hui, du préscolaire au secondaire, toutes les classes disposent d’au moins un ordinateur et d’un équipement audiovisuel. » [10]
Comme l’indique le tableau ci-dessous, le pays dépense aujourd’hui 12,84% de son PIB pour répondre aux besoins des administrations publiques et de l’enseignement. Quasiment 100% des cubains sont alphabétisés. [11]

La révolution verte de Cuba


Ces changements vaudront à Cuba de remporter en 2001 le prix « Global 500 » décerné par les Nations Unies avec pour mention « le pays a un indice de développement humain élevé et une faible empreinte écologique sur la planète ». [12]

  • 2. Le « plan en 5 points » de 2006

Malgré des efforts émis par Cuba au début du deuxième millénaire, la petite île révolutionnaire n’était toujours pas tirée d’affaire.
C’est pourquoi le gouvernement cubain a décidé de mettre en place des mesures drastiques que l’on appellera le « plan en 5 points », instauré en 2006 qui consiste à :
 améliorer les rendements et l’économie,
 améliorer la fiabilité du réseau électrique national,
 avoir recours aux énergies renouvelables,
 augmenter l’exploration et de la production du gaz et du pétrole nationaux,
 favoriser la coopération internationale.

Le président de l’époque Fidel Castro avait déclaré à ce sujet au mois de mai 2006, « Nous n’allons pas attendre que le pétrole nous tombe du ciel, parce que nous avons découvert, heureusement, quelque chose de plus important - les économies d’énergie, ce qui revient à découvrir un grand gisement de pétrole. » [13]

Après la mise en place de ce programme intensif, les résultats ne se sont pas fait attendre. En effet, toujours selon l’étude de Renewable Energy World, « en six mois, plus de neufs millions d’ampoules à filament, soit près de 100% de toutes les ampoules du pays, ont été remplacées par des modèles compacts fluorescents - faisant de Cuba le premier pays au monde à avoir totalement éliminé l’éclairage par les ampoules à filament en tungstène. De plus, des millions d’appareils ménagers plus économiques ont été vendus aux Cubains, dont près de 2 millions de réfrigérateurs, plus d’un million de ventilateurs, 182.000 climatiseurs, et 260.000 pompes à eau. » [14]

Grâce à cet engouement national, nous pouvons affirmer que si les importations de nourriture venaient à être stoppées ou que l’île se voyait renvoyée à l’époque des embargos, les habitants seraient beaucoup moins en difficulté que ceux d’un pays comme la France ou l’Allemagne qui ne disposeraient que de quelques jours de répit et de réserves pour alimenter leur population. En effet, d’après le CESER (Conseil Economique, Social et Environnemental Ile-de-France), la région ne disposerait que de quatre jours de réserves alimentaires.

Et si l’embargo US avait permis à l’île de se révéler autrement ?
Les retombées sont manifestes, le peuple n’a pas faim, ses sols et son eau sont sains, ses déchets sont recyclés, sa biodiversité augmentée. Sa sécurité alimentaire est assurée, ses productions sont diversifiées, ses enfants sont scolarisés et son taux de chômage est faible . [15]
« L’agriculture urbaine a explosé et la ville est devenue un jardin, avec ses 400 000 exploitations agricoles urbaines sur ses 70 000 hectares de terres qui produisent plus de 1,5 millions de tonnes de légumes, La Havane est désormais capable de fournir 50% de fruits et de légumes bio à ses 2 200 000 habitants, les 50% restants étant assurés par les coopératives alentours.  » déclare Diane Deswarte dans son article « À Cuba, l’embargo américain a permis à l’île de développer l’agriculture biologique ! » [16]
D’après le rapport 2016 bi-annuel « Living Planet » de la célèbre ONG WWF (World Wildlife Fund), Cuba est le pays le plus « durable » de la planète.

Il aura fallu alors une crise à Cuba pour que l’île découvre l’agroécologie, la permaculture et les atouts du développement durable. Mais l’île est-elle pour autant totalement indépendante ? A t-elle entièrement réussi sa transition énergétique ?
La consommation de pétrole, cette consommation dans l’ombre des articles ventant les mérites de « l’ile verte », n’a pas totalement disparu. A défaut de se procurer du pétrole du coté des pays de l’ex URSS, Cuba a redémarré sa consommation de pétrole au cours de l’année 1993 grâce en partie à une consommation nationale mais aussi et surtout avec l’aide du Venezuela…

Suite de la publication de cette étude le 20/06


[1Article de Renewable Energy World, « La Revolucion Energetica : Cuba’s Energy Revolution », le 9 avril 2009

[2Article du Blog Mediapart, « Comment les Cubains ont converti leur île à l’agriculture biologique », le 1e décembre 2015

[3Article du Blog Mediapart, « Comment les Cubains ont converti leur île à l’agriculture biologique », le 1e décembre 2015

[4L’île de Cuba est définie selon sa Constitution comme une Etat Socialiste guidé par les principes de Jose Marti (fondateur du Parti Révolutionnaire Cubain), et les idéaux de penseurs communistes tel que Marx, Engels ou encore Lénine.

[5Article de l’Humanité, par Jean Ortiz, « Il y a cinquante ans, les États-Unis décrétaient le blocus de Cuba », le 3 février 2012

[7Article de Radio Havane Cuba, par Francisco Rodríguez Aranega « Les Nations-Unies soutiennent la gestion cubaine des ressources hydriques », le 23 mars 2017

[8Article de Renewable Energy World, « La Revolucion Energetica : Cuba’s Energy Revolution », le 9 avril 2009

[9Article de Renewable Energy World, « La Revolucion Energetica : Cuba’s Energy Revolution », le 9 avril 2009

[10Article de la Revue Internationale de Sèvres, par Philippe Bayart, Rémy Herrera et Éric Mulot dans, « Le système éducatif cubain depuis la crise des années 1990 », 2008

[11Fiche Cuba du site de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la science et la Culture)

[12Article de Cubanismo, « Che présente 2010 : révolution au cœur vert », le 25 octobre 2010

[13Article de Renewable Energy World, « La Revolucion Energetica : Cuba’s Energy Revolution », le 9 avril 2009

[14Article de Renewable Energy World, « La Revolucion Energetica : Cuba’s Energy Revolution », le 9 avril 2009

[15 Annexe 1 : Tableau représentatif du taux de chômage cubain de 2006 à 2016

[16Article de La relève et la Peste, par Diane Deswarte, « À Cuba, l’embargo américain a permis à l’île de développer l’agriculture biologique ! », le 30 novembre 2016


Par laurent, publié le jeudi 15 juin 2017
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