Rubrique Geopolitique

2 - Le Sahel nouveau front djihadiste

(Suite de la première partie de l’article que vous pouvez retrouver ici.)

II. Boko Haram

A. Le Nigeria

Le Nigeria connaît un contexte sécuritaire désastreux. En effet l’organisation terroriste Boko Haram multiplie ses attaques d’une terreur indéfinissable. La situation est très tendue, d’autant que les tensions sont aussi bien ethniques que religieuses depuis des décennies car le pays est partagé entre chrétiens et musulmans. Bien que le pays soit la première puissance économique d’Afrique, il faut noter qu’il y a un taux de chômage et de pauvreté élevé, ce qui rend les minorités largement influençables.
Il est important de rappeler également qu’au Nigeria il existe des tensions politiques qui se sont accrues notamment depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1999 qui consacre des élections ouvertes à tous les partis politiques. Pour tenter de pallier à ces tensions, un pacte non écrit a été établi stipulant une alternance au sommet du pouvoir entre le Nord et le Sud. L’actuel président, Goodluck Jonathan, chrétien du Sud, a augmenté les frustrations dans le milieu politique musulman.
Certains analystes affirment que Boko Haram est financé par des hommes d’affaires et politiciens musulmans nordistes pour rendre le pays ingouvernable et surtout pour rendre impopulaire l’actuel président Goodluck Jonathan. Cette stratégie aurait pour but de rendre le pouvoir du pays aux musulmans aux prochaines élections (14 février 2015) [1]. Goodluck Jonathan est alors en très mauvaise posture pour sa réélection car il est considéré comme incapable de faire face à la menace terrifiante de Boko Haram.

B. L’histoire de Boko Haram

Boko Haram a débuté en 2002. A la base c’était un mouvement religieux contestataire. « Boko » signifie « book » en anglais et « haram » signifie « interdit »en arabe, Boko Haram signifie donc le rejet pur et simple de l’éducation occidentale, et par extension de la modernité. Ils vont jusqu’à rejeter un certain islam, celui des « mauvais musulmans », ceux qui s’occidentalisent, car pour les membres de Boko Haram, ceux qu’ils considèrent comme « infidèles » ne sont plus des êtres humains.
D’où cette forme de violence extrême car ils les considèrent comme des bêtes, qu’on égorge. Mohamed Yusuf est à la tête de ce mouvement islamiste, il s’engage dans une logique de refus du modèle d’éducation occidentale, hérité de la colonisation et considéré comme pervers. Le mouvement vise une république islamiste intégriste dans le Nord du pays. Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno est leur base depuis 2003 suite à l’attaque de Yusuf par la police d’Etat, ville dans laquelle le groupe s’était retranché.
Le chef du groupe y avait alors fondé une école islamiste qui accueillait des étudiants de tout le Nord du pays à majorité musulmane, ces derniers seront les futurs membres de Boko Haram. En 2009, de violentes confrontations avec les forces de sécurité nigérianes ont entraîné sa mort. Boko Haram est devenu alors beaucoup plus violent et devient terroriste. La secte s’étend désormais sur quatre états du nord et Abubakar Shekau en devient le meneur. Il deviendra par la suite le terroriste le plus recherché par le gouvernement américain. Entre juillet 2009 et février 2011, 164 attentats-suicides, exécutions et braquages ont été revendiqués, et 935 personnes ont été tuées.
Dernièrement, le groupe a fait beaucoup parler de lui en kidnappant au début de l’année 2014, 223 lycéennes vouées à être vendues ou rendues esclaves. Elles sont toujours disparues à ce jour. S’en est suivi une vague de mobilisation internationale contre Boko Haram qui est désormais reconnu par l’ONU comme organisation terroriste. Le 7 janvier dernier, Boko Haram a de nouveau frappé en détruisant 16 villages et faisant 2000 morts au Nigeria, avec 20 000 personnes en fuite. Selon Amnesty International, il s’agirait du massacre le plus meurtrier de l’histoire de Boko Haram.

C. Leurs objectifs

Au fil des années, les objectifs de ce mouvement ont évolué. En effet, au départ le groupe voulait instaurer un Etat Islamique ainsi que la charia, qui est la loi islamique codifiant l’ensemble des droits et des devoirs tant individuels que collectifs des musulmans, dans le Nord du Nigeria. Aujourd’hui c’est plutôt la recherche de la déstabilisation du pays et la confrontation avec les autorités centrales. Boko Haram prône donc le retour à la pureté de l’islam par l’application stricte de la charia. Le groupe défend une version radicale de l’islam qui interdit aux musulmans de prendre part à toute activité politique ou sociale associée aux sociétés occidentales (par exemple voter aux élections, porter des chemises, des pantalons…etc). Il s’oppose aussi à l’instruction des femmes. Leur but est d’imposer une vision bien particulière de l’Islam, similaire à l’idéologie des talibans.
Le mouvement a pu se développer rapidement et prendre une ampleur phénoménale, car le Nigeria dispose d’une rente pétrolière et d’importantes ressources, mais il n’y a absolument pas de politiques publiques, ce qui leur a permis de recruter parmi la population. Cette secte islamique mène une insurrection sanglante dans le pays contre les musulmans mais aussi les chrétiens. Les actions de ce groupe divisent encore plus le pays, qui est partagé entre le Nord à majorité musulmane et le Sud plutôt chrétienne.

L’évolution de leurs objectifs

Ces dernières années, Boko Haram se divise pour faire émerger d’autres mouvements, parmi eux, celui lié au djihadisme mondial mené par Mamman Nur. Il serait à l’origine de deux attaques en 2011 (l’attentat-suicide des Nations Unies et l’attaque d’une église chrétienne le jour de Noël). En 2014, Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur au centre d’études de Sciences Po, estime que Boko Haram dispose de 6000 à 8000 combattants. « Même l’Etat Islamique qui a tué des milliers de personnes et cible des minorités ne semble pas agir de manière aussi gratuite dans ses attaques. Il semble que tout le monde (chrétiens, musulmans, camerounais, nigérians) soit une cible pour Boko Haram » affirme le Washington Post.

Les attaques de Boko Haram – 15 Mai 2014



Les horreurs commises par Boko Haram la semaine du 5 janvier 2015, avaient pour but de rendre ingouvernable le pays et de neutraliser les élections présidentielles du 14 février 2015 au Nigeria (selon les promesses faites auparavant du chef Abubakar Shekau). Les enjeux de ces élections sont énormes, en effet le Nigeria est la première puissance économique d’Afrique et elle fait face à un conflit religieux entre le Nord et le Sud. La facilité des actions du groupe qui détiennent 20 000km2 tend à se poser la question du complot sur le terrain, car l’armée nigériane est très puissante.

Leur mode de recrutement et de financement

Il s’agirait avec le projet Transaqua de remplir le lac Tchad en voie de disparition pour stopper Boko Haram. On parle d’un canal de 1500 km de long au cœur de l’Afrique. Au cours des cinquante dernières années, le lac aurait perdu plus de 90% de sa surface détruisant la vie de presque 30 millions de personnes qui en dépendaient de par la pêche, l’agriculture, les activités de pâturages etc. Certains experts pensent que ces anciennes rives du lac se seraient transformées en terre permettant le recrutement pour Boko Haram puisque ceux-ci pouvaient leur fournir des vivres. Un expert de Boko Haram à la Jamestown Foundation déclare : « Il est hautement probable que ces gens ont rejoint les rangs de Boko Haram. Si vous donnez de quoi vivre à des gens qui ont perdu leur moyen de survie, vous éliminerez l’un des facteurs clé permettant aux rebelles d’exister. » Seul problème de ce projet : "Il y a un faible intérêt dans les capitales occidentales pour financer la construction d’un canal (…)
Le projet couterait des milliards de dollars et sa construction exigerait de nombreuses années. Alors que l’intensité des attaques de Boko Haram va en s’accroissant, des responsables cherchent désespérément une solution à la rébellion
."



De plus, les leaders semblent recruter dans les classes les plus pauvres du pays et plus particulièrement auprès des jeunes déscolarisés qui ont d’abord fréquenté une école coranique ou bien dans les régions où il n’y a pas de politiques publiques. Pour ce qui est du mode de financement du groupe, cela reste assez flou. En effet, les analystes émettent plusieurs hypothèses sans avoir de résultats vraiment concluants. Selon eux, le gouverneur de Borno, Ali Modu Sheriff (de 2003 à 2011) aurait été lié au financement de Boko Haram, suite aux batailles politiques de l’État de Borno. D’autres évoquent le fait que les grands commerçants et les hommes d’affaires du Nord auraient également financé le groupe dans un contexte de compétition locale pour le pouvoir. Mais surtout, les braquages de banques sont un moyen de trouver de nombreuses ressources rapidement, souligne le chercheur Gilles Yabi.

En conclusion, à l’approche des élections présidentielle nigériane (14 février 2015) (voir note de bas de page), Boko Haram exerce une pression sur le pays et ses riverains du nord-est (Niger, Tchad…) Des centaines de milliers de réfugiés sont présents au Niger. De plus, les otages et les boucliers humains rendent difficiles l’affrontement pour l’armée.
Mais la nouvelle qui a fait tout basculer date du 6 janvier 2015 avec l’attentat qui représente le plus gros massacre de Boko Haram. Il est nécessaire de mobiliser une aide internationale pour leur faire face. C’est d’ailleurs ce que le Président Camerounais a précisé dans son discours devant le corps diplomatique suite à cette attaque. Le Président Nigerian Goodluck Jonathan n’est pas assez puissant face à cette menace, il faut déployer plus de moyens pour pouvoir les contrer, car en un an Boko Haram a réussi à prendre le contrôle de plus de 20 000km2 au nord-est du pays. Il est important de savoir que l’armée nigériane dispose d’un budget conséquent - on parle de 4,5 milliards d’euros soit 20 % du budget de l’Etat…
Posons-nous la question : pourquoi se montre-t-elle dans l’incapacité à arrêter l’avancée de Boko Haram sur son propre territoire ?


[1La date est reportée au 28 mars 2015. Lors de ces élections c’est Muhammadu Buhari qui est élu et reconnu comme nouveau président le 31 mars. « J’ai promis des élections libres et justes. J’ai tenu parole » a déclaré Goodluck Jonathan, comme le rappelle cet article du journal du Cameroun.

Pour aller plus loin dans la lecture de cet article, nous ne pouvons que vous conseiller tout d’abord « Dans l’engrenage de la terreur, genèse du djihadisme » de Nabil Mouline paru sur le site Le Monde Diplomatique (accès libre).
« Haji Bakr, le cerveau de l’Etat islamique » sous-titré par nos soins « L’Etat Islamique, une belle fumisterie ? » est une enquête de Christophe Reuter du journal Der Spiegel permettant de bien comprendre les réelles motivations de ce qui se fait appeler l’Etat Islamique.
Nous finirons avec les soldats français du 2e REP assurant au quotidien une présence indispensable afin de lutter contre les islamistes, sur un territoire global qui pour rappel est plus vaste que l’Europe, direction « Le sable chaud du Niger »


Par , publié le mercredi 8 avril 2015
Les Tags de l'article "2 - Le Sahel nouveau front djihadiste" : , , , ,